Quand le système craque, qui reste debout? Les doulas

Quand le système craque, qui reste debout? Les doulas

Du 22 au 28 mars, on souligne la Semaine mondiale des doulas. Une semaine pour faire rayonner cette posture d’accompagnement unique, encore trop souvent méconnue, parfois mal comprise, et pourtant essentielle.

Pendant que les projecteurs sont tournés vers les nouvelles familles, les bébés qui viennent de naître et les professionnel·les de la santé, une figure veille en silence, en retrait, dans la présence constante mais discrète : la doula.

Mais cette année, j’ai envie de poser une autre question : qui prend soin des doulas?

Doula : ce qu’on voit, et ce qu’on ne voit pas

Une doula accompagne. C’est sa mission. Son engagement. Elle accompagne les parents dans leur cheminement, leur vulnérabilité, leurs doutes, leurs forces, leurs choix, leurs tempêtes.

Elle ne remplace personne. Elle est un « en plus » de présence, de soutien, d’information, d’ancrage. Une doula ne fait pas d’acte médical. Mais ce qu’elle offre est tout aussi vital pour plusieurs familles : une présence humaine, stable, bienveillante, libre de jugement, qui reste là, même quand tout bouge autour.

Ce qu’on voit, c’est souvent une image douce : une main tenue, une voix qui rassure, une présence qui calme.

Ce qu’on ne voit pas, c’est la doula qui quitte sa maison en pleine nuit, qui reste des heures debout sans manger, qui absorbe les tensions dans une salle d’accouchement, qui retient ses larmes pour rester forte, qui rentre chez elle le coeur en miettes parce que la naissance ne s’est pas déroulée comme prévu.

On ne voit pas non plus le nombre de textos reçus en plein souper, la charge mentale de suivre plusieurs familles, les nuits d’insomnie après un accompagnement intense, le deuil d’une famille perdue en fausse couche.

La posture de service... mais pas d’oubli de soi

La posture de doula est une posture de service.
Pas de sauvetage.
Pas de sacrifice.
Pas de martyr.
Et certainement pas d’oubli de soi.

Et pourtant, bien des doulas finissent par s’oublier. Par amour. Par passion. Par vocation.

Parce qu’elles veulent être là. Parce qu’elles se sentent appelées. Parce qu’elles ont cette sensibilité qui les rend si précieuses, mais aussi si vulnérables.

La charge émotionnelle, la fatigue compassionnelle, le manque de reconnaissance ou de réseau de soutien sont bien réels. Et on en parle encore trop peu.

Alors aujourd’hui, je veux simplement dire ceci : les doulas ont aussi besoin d’espace, de soutien, de reconnaissance et de repos.

Quand on n’accompagne plus, mais qu’on continue de porter la voix

Je ne suis plus une doula de naissance active. Mais ce métier continue de vivre en moi. J’en parle, je le défends, je le transmets. J’accompagne les doulas en formation, je les forme, je les écoute, je les aide à mettre des mots sur ce qu’elles vivent.

Je ne suis plus sur le terrain, mais je suis encore dans l’arène. Comme une porte-voix pour celles qui n’ont pas toujours l’espace pour se raconter.

Et si je parle de la fatigue, de la charge, de l’invisible, ce n’est pas pour faire pleurer dans les chaumières, ni pour qu’on envoie des bouquets de fleurs aux doulas (même si bon, c’est toujours le fun 🌸). C’est pour remettre l’humain au centre. Pour rappeler que celles qui accompagnent méritent elles aussi d’être accompagnées.

L'importance du soutien entre doulas

On parle souvent du soutien que les doulas offrent aux parents, mais peu du soutien qu’elles s’offrent entre elles. Pourtant, c’est souvent dans ces cercles de partage, dans ces communautés, dans ces espaces de dépôt, que se joue la durée et la qualité de la carrière d’une doula.

On ne peut pas verser d’une coupe vide. On ne peut pas soutenir les autres si on ne se sent pas soi-même entourée.

Il est temps de valoriser ces espaces. De les multiplier. De les financer. De les reconnaître comme étant aussi essentiels que l’accompagnement lui-même.

Une profession au cœur d’un système en tension

On ne peut pas parler du rôle des doulas sans parler du contexte dans lequel elles évoluent.

La périnatalité, en ce moment, est en crise.
Le manque de personnel dans les hôpitaux, les coupures dans les services communautaires, la surcharge des professionnel·les de la santé… tout cela crée un vide.

Et dans ce vide, ce sont souvent les doulas qui restent. Qui écoutent. Qui tiennent. Qui accompagnent.

Alors qu’on coupe, qu’on réorganise, qu’on redéfinit ce qui est « essentiel »… il reste des familles, des accouchements, des mères qui ont besoin d’être vues. Et des doulas qui, sans être reconnues officiellement par le système, deviennent ce maillon invisible mais vital entre les besoins des familles et les ressources disponibles (ou manquantes).

Mais plus le système craque, plus on s’appuie sur celles qui n’ont pas les moyens, la reconnaissance, ni même parfois le droit d’exister pleinement dans l’écosystème de la naissance.

Et ça, il faut le nommer.

Ce qu’on peut faire (sans culpabiliser personne)

Ce n’est pas aux parents de prendre soin des doulas. Ce n’est pas leur rôle, ni leur mission. Ils vivent assez de choses comme ça.

Mais si on veut, collectivement, que les doulas puissent continuer à jouer leur rôle, on doit élargir la conversation :

  • Entre doulas : pour se soutenir, se nommer, se reposer.

  • Entre professionnel·les de la naissance : pour reconnaître la présence des doulas comme une force, pas une menace.

  • Auprès des institutions : pour offrir un statut, une reconnaissance, une place.

  • Et dans la société : pour mieux comprendre le métier, ses forces et ses fragilités.

Une semaine pour être vues

La Semaine mondiale des doulas, ce n’est pas juste une occasion de dire "merci". C’est une chance de lever le voile sur une pratique profonde, riche, humaine, qui mérite d’être mieux comprise.

Alors cette semaine, je veux dire : merci aux doulas.

Merci pour votre présence. Merci pour votre patience. Merci pour votre foi en l’humain, en la physiologie, en la puissance des femmes.

Merci d’être encore là, malgré les nuits blanches, les téléphones à toute heure, les doutes, les « c’est quoi ça une doula, c’est tu comme une sage-femme? », les accouchements qui virent autrement.

Et surtout, merci de continuer à croire que votre rôle est important. Parce qu’il l’est. Immensément. Surtout en ce moment.

Et si tu es doula et que tu lis ceci : prends une pause. Bois un grand verre d’eau. Dis-toi merci. Puis demande-toi : qui est-ce qui prend soin de moi ces temps-ci?

Tu mérites, toi aussi, d’être accompagnée.